Le Chant du Troll (Pierre Bottero ; illustrations : Gilles Francescano)

Comme promis, l’article d’aujourd’hui concerne Le Chant du Troll, un roman de Pierre Bottero illustré par Gilles Francescano. Si je met l’accent sur l’illustrateur, c’est parce que ce livre est à la frontière de l’album et du roman, et que de nombreuses images accompagnent le texte, envahissant les pages ou colorant parfois les lettres elles-mêmes. Je ne sais pas si c’est un hommage à Pierre Bottero de la part de Gilles Francescano, ou si l’auteur avait lui-même demandé ces illustrations, toujours est-il qu’elles sont magnifiques et donnent un air magique à l’ensemble.

« J’en ai ASSEZ ! » La vaisselle vole en éclat sur le carrelage. Léna, couchée sur le tapis bleu du salon, tente d’y disparaître. Sa mère en a assez d’être invisible pour son mari. Assez de devoir casser la vaisselle pour qu’il daigne lui adresser la parole. Assez de vivre avec un homme qui passe ses jours et ses nuits assis devant un ordinateur à écrire désespérément un roman qui ne sera même pas publié. Assez…

Léna se bouche les oreilles mais elle entend toujours. Alors elle chantonne tout bas la comptine qui repousse toujours ses ennuis et éclaire son univers.

Un, deux, trois, Trois à trois, Toi et moi.

Son père hurle.

Un, deux, trois, Trois à trois, Toi et moi.

Voix glaciale de sa mère.

Un, deux, trois, Trois à trois, Toi et moi.

Silence. La comptine marche toujours. Léna sourit, couchée sur le tapis bleu du salon.

Un, deux, trois, Trois à trois, Toi et moi. Un, deux, trois, Trois à trois, toi et moi, Ça fait deux, Qui est trois ? C’est toi !

Dans son lit, Léna comprend que sa mère est parti. « Maman… » Seul le cliquetis saccadé du clavier lui répond.

Un, deux, trois, Trois à trois, Toi et moi.

Elle se rendort. A son réveil, rien n’a changé. Elle part à l’école sans que son père n’ai même levé les yeux de son écran. Dehors, elle s’immobilise, le souffle coupé.

Comme si le jour avait trébuché en se levant et renversé les couleurs dont il parait certains petits matins, le ciel ruisselait de teintes aussi étranges que vives.

Un peu inquiète, elle poursuit sa route jusqu’à l’école. Sur le mur, une petite fleur rouge s’efforçait avec courage de libérer ses pétales d’une fissure dans le mur. Étrange, une fleur en plein mois de décembre. La classe est très agitée ce jour-là, tout le monde se demande pourquoi le ciel s’est coloré d’une si étrange manière. « Moi, je les trouve belles, ces couleurs. On dirait des rêves de fée qui dégoulinent. » Évidemment, personne ne l’écoute. Elle est trop insignifiante. Ce doit être pour cela que la maîtresse a encore oubliée de lui donner le formulaire. Et Léna, timide comme une petite souris, ne lui a rien demandé. Son père ne l’aurait pas signé, de tout façon. C’est déjà le début de la nuit.

Des volutes ténébreuses s’étaient déployées dans le ciel, dévorant les couleurs qui avaient paré la ville pendant la journée.

En rentrant, elle se sent suivie. Deux hommes ne portant pas de manteaux malgré le froid mais des chapeaux à large bord et de grosses lunettes de soleil qui leur mangeaient la moitié du visage. Ils la fixèrent un instant et firent demi-tour. Il n’y avait personne. Personne, et pourtant Léna se sentait observée. Quelque chose la guettait. Quelque chose de lourd. Quelque chose de dur. Quelque chose de méchant. Il n’y avait personne. Personne à part les ténèbres et le Quelque Chose qui la guettait. Un nom s’introduisit dans son esprit, déversant des souvenirs en masse. Souvenirs qu’elle repoussa. Ils revinrent. Alors elle chanta.

Un, deux, trois, Trois à trois, Toi et moi.

Le Quelque chose était là, mais la comptine la protégeait.

Un, deux, trois, Trois à trois, Toi et moi. Un, deux, trois, Trois à trois, Toi et moi, Ça fait deux, Qui est trois ? C’est toi !

Elle entre dans son immeuble, en sécurité. Son père est toujours devant son ordinateur, qu’il n’a pas quitté de la journée. Terrifiée, elle se blottit contre lui, bercée par le bruit du clavier. Elle fredonne la comptine et s’endort, en sécurité.

Terriblement en retard pour l’école, Léna jaillit sur le trottoir, son cartable sur le dos. Elle s’immobilise. Les rues sont désertes.

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Plus gros, plus denses, plus verts, ils entremêlaient leurs épaisses frondaisons au-dessus de la chaussée. Leurs troncs énormes érigés sur des racines noueuses avaient soulevé béton et bitume tandis que leurs branches foisonnantes abritaient une multitude de petits oiseaux qui piaillaient comme au plus fort du printemps.

Le basculement avait commencé, et pour une mystérieuse raison, elle en était le centre. Elle devait être prête.

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Je voulais lire ce roman, mais il était introuvable. Et là, ô miracle, je le trouve au CDI du collège !! Je l’ai emprunté et finit le jour même. Le texte qui change couleur, les images qui s’y insèrent, la poésie présente dans chaque lettre… C’est incroyable, magique, extraordinaire… Et l’histoire ne se limite pas à ce livre. Les lecteurs connaissant Gwendalavir ou L’Autre trouveront des repères, des clins d’œils, des indices. Ce tome est la première pierre, le commencement d’un monde que Bottero a déjà parcouru et décrit avant. Il nous dévoile à présent sa création et son histoire à travers une enfant et un Troll. Léna et le Troll. Eejil et Doudou. Unis par un sentiment partagé, ils auront l’éternité pour profiter de la naissance d’un univers… S’ils arrivent à vaincre Leucémia. Le mélange de deux dimensions, celle des Imaginaires (composée de plusieurs mondes) et celle des Réels. Pour une étrange raison, Léna fait partie du basculement et en est le centre. Alors qu’elle n’a que 10 ans. Mais la source de ce récit en apparence léger peut être triste, déchirante. Peut être est-ce venu de l’expérience de Bottero lui-même, peut être a-t-il écrit cela en hommage à d’autres, connus ou inconnus. Il est hélas trop tard pour le lui demander, nous devrons nous contenter de ses livres et des liens qu’il commençait à tisser entre eux…

Le Chant du Troll est lisible dès 11/10 ans, de préférence après avoir découvert Gwendalavir ( La Quête d’Ewilan, Les Mondes d’Ewilan, le Pacte des Marchombres ) ou L’Autre, et si possible Les Âmes Croisées. Il comporte environ 186 pages en comptant les très nombreuses illustrations. Je le recommande du fond du cœur, surtout aux fans de Pierre Bottero, bien sûr, mais aussi aux autres, surtout qu’il est très facile à lire et reposant.