Allez, pour aujourd’hui, un livre joyeux, drôle et plein de vie ! Ha. Ha. Ha… Il se trouvait sur la liste des autobiographies à lire de ma prof de français, et je l’ai choisi. Eh bien… le moins que l’on puisse dire, c’est que c’est dur. Mais c’est toujours moins dur que d’avoir vécu ça, alors je pense que le moins que l’on puisse faire, nous pour qui la Seconde Guerre Mondiale n’est qu’un chapitre d’histoire, c’est de lire les témoignages de ces rares rescapés que personne ne voulait écouter lorsqu’ils retrouvèrent (ou pas…) leurs proches.
Comme j’en ai fait une fiche de lecture, je ne me suis pas cassé la tête et j’ai simplement collé mon étude du style de l’auteur, deux extraits qui m’ont particulièrement touchée, et mon avis global. Ça variera le style des critiques ! 😉
La préface du livre est un poème de Primo Levi :
Vous qui vivez en toute quiétude
Bien au chaud dans vos maisons,
Vous qui trouvez le soir en rentrant
La table mise et des visages amis,
Considérez si c’ est un homme
Que celui qui peine dans la boue,
Qui ne connaît pas de repos,
Qui se bat pour un quignon de pain,
Qui meurt pour un oui pour un non.
Considérez si c’est une femme
Que celle qui a perdu son nom et ses cheveux
Et jusqu’à la force de se souvenir,
Les yeux vides et le sein froid
Comme une grenouille en hiver.
N’oubliez pas que cela fut,
Non, ne l’oubliez pas :
Gravez ces mots dans votre cœur.
Pensez-y chez vous, dans la rue,
En vous couchant, en vous levant ;
Répétez-les à vos enfants.
Ou que votre maison s’écroule,
Que la maladie vous accable,
Que vos enfants se détournent de vous.
Style de l’auteur
Ce roman est un témoignage sur la vie dans les camps de concentration, mais également une étude philosophique et comportementale de l’Homme. L’auteur utilise un point de vue interne tout en privilégiant la description et la narration, mais également en prenant parti le moins possible. Ainsi, l’auteur augmente l’impact des phrases qui ne sont que pure description méthodique du Lager et de ses détenus. Primo nous laisse faire un jugement qui nous est propre et qui n’est pas influencé par ses émotions. Le rythme de l’histoire est plutôt lent, car il est entrecoupé de dissertations philosophiques.
Extraits :
Chapitre 10 : Examen de chimie (p. 166-167)
“[…]Pour rentrer à la Buda, il faut traverser un terrain vague encombré de poutres et de treillis métalliques empilés les uns sur les autres. Le câble d’acier d’un treuil nous barre le passage ; Alex [son Kapo] l’empoigne pour l’enjamber, mais, Donnerwetter, le voilà qui jure en regardant sa main pleine de cambouis. Entre-temps, je suis arrivé à sa hauteur : sans haine et sans sarcasme, Alex s’essuie la paume de la main et le dos de la main sur mon épaule pour se nettoyer ; et il serait tout surpris, Alex, la brute innocente, si quelqu’un venait lui dire que c’est sur un tel acte qu’aujourd’hui je le juge, lui et Pannwitz, et tous ses nombreux semblables, grands et petits, à Auschwitz et partout ailleurs.”
L’auteur décrit ici la façon dont les Kapos considéraient les prisonniers juifs : sans forcément de la haine, mais comme un objet, un animal, un numéro. Lire ce passage donne envie d’aller voir Alex, et, les yeux dans les yeux, de lui demander ce qu’il voit quand il regarde Primo. Est-il si différent d’un être humain ? Ressemble-t-il à ce point à une serviette ? En quoi ce Kapo, est-il si différent des autres détenus ? Pourquoi se croit-il si supérieur ? Pour résumer, c’est l’indignation que j’ai ressentie qui m’a poussée à choisir cet extrait.
Chapitre 15 : Die drei leute vom Labor (p. 210-211)
“[…]Ces jeunes filles chantent, comme chantent toute les jeunes filles de tous les laboratoires du monde, et cela nous rend profondément malheureux. Elles bavardent entre elles : elles parlent du rationnement, de leurs fiancés, de leurs foyers, des fêtes qui approchent…
– Tu vas chez toi, dimanche ? Moi, non, c’est tellement embêtant de voyager !
– Moi j’irai à Noël. Plus que deux semaines, et ce sera de nouveau noël : c’est incroyable ce que cette année est vite passée !
Cette année est vite passée. L’année dernière, à la même heure, j’étais un homme libre : hors-la-loi, mais libre ; j’avais un nom et une famille, un esprit curieux et inquiet, un corps agile et sain. Je pensais à toutes sortes de choses très lointaines : à mon travail, à la fin de la guerre, au bien et au mal, à la nature des choses et aux lois qui gouvernent les actions des Hommes ; et aussi aux montagnes, aux chansons, à l’amour, à la musique, à la poésie. J’avais une confiance énorme, inébranlable et stupide dans la bienveillance du destin, et les mots “tuer” et “mourir” avaient pour moi un sens tout extérieur et littéraire. Mes journées étaient tristes et gaies, mais je les regrettais toutes, toutes étaient pleines et positives ; l’avenir s’ouvrait devant moi comme une grande richesse. De ma vie d’alors il ne me reste plus aujourd’hui que la force d’endurer le froid et la faim ; je ne suis plus assez vivant pour être capable de me supprimer.
Si je parlais mieux allemand, je pourrais expliquer cela à Frau Mayer ; mais elle ne comprendrait certainement pas, et quand bien même elle serait assez intelligente et bonne pour comprendre, elle ne pourrait pas supporter ma vue, elle me fuirait, comme on fuit le contact d’un malade incurable ou d’un condamné à mort. Ou peut être me donnerait-elle un bon pour un demi-litre de soupe civile.
Cette année est vite passée.”
Ce passage, qui décrit parfaitement l’attitude des civils vis-à-vis des détenus, m’a interpellée. On sent la douleur de l’incompréhension et de l’indifférence vibrée dans cette phrase d’apparence anodine et pourtant répétée trois fois, qui conclut le chapitre : “Cette année est vite passée.” Il est parfois agréable, après la lecture d’un passage particulièrement fort, de faire une pause dans sa lecture pour réfléchir un certain temps à ce que l’auteur a mis dans ces lettres, ces mots et ces phrases.
Lors de l’instant de réflexion que je me suis accordé après la lecture de ce chapitre, j’avais les larmes aux yeux.
Commentaire Personnel
Ce roman est d’une densité incroyable, mais le trop plein d’émotions diverses et variées (indignation, frustration, colère, incompréhension, tristesse, pitié…) n’a débordé qu’après coup, alors que je réfléchissais sur ce que je venais de lire et que je me posais quelques questions sur la nature humaine. Les larmes me sont montées aux yeux à plusieurs reprises, mais ce n’est que quelques minutes après l’avoir terminé qu’elles ont coulé. Selon moi, la force de ce témoignage réside dans le caractère impersonnel de la narration (pourtant totalement interne) : l’auteur ne révélant que peu ses émotions, ses jugements et ses pensées, il est d’autant plus facile d’imaginer être dans cette situation.
Mais l’imagination ne peut, en terme d’horreur et d’inhumanité, dépasser cette réalité qui fut celle de tant d’être humains. Les chiffres, nous les avons tous lus, et ils nous ont tous sinon révoltés, du moins attristé. Mais les chiffres ne peuvent représenter le nazisme et la Seconde Guerre Mondiale dans sa totalité : seuls les témoignages des rares rescapés peuvent y prétendre.
Pour conclure, je recommande ce livre (environ 270 pages, plus près de 45 pages consacrées à une appendice dans la « nouvelle » édition) aux adolescents à partir de la 3° (pour une meilleure connaissance de la 2GM), aux jeunes adultes, aux adultes d’âge mûr, aux vieux adultes, et même aux fantômes. Il n’est jamais trop tard pour ouvrir les yeux sur les crimes de l’humanité.